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Avant l’assaut final

Je me souviens de notre dernière réunion au syndicat avant l’assaut final. Macron venait de donner aux ministres leurs feuilles
de route pour sa « révolution nationale ».
Retraites, fonction publique, on allait voir ce qu’on allait voir. Le pays allait vivre une grande révolution de mentalités, et faire le
grand bond en avant. On allait passer à une ère numérisée, où le traitement par plate-formes allait remplacer tous ces fonction-
naires trop nombreux, corporatistes, repliés sur leurs avantages, n’accomplissant leurs tâches qu’imparfaitement.

Il y avait bien eu, ça et là, des sursauts d’indignation, mais le mouvement des gilets jaunes avait fait long feu. Les « jacqueries »
comme certains élus s’étaient plu à les nommer, avaient lassé le pays, pourtant solidaire idéologiquement face au démantèle-
ment de ce qui constituait le ciment de la société civile, une fonction publique d’état, présente sur tout le territoire, car au
service de tous, pour un traitement équitable.

Comme l’avait si bien exprimé une camarade, nous étions tous en état de sidération, résignés de surcroît. Je les avais tous regar-
dés, écoutés, avec le sentiment diffus d’assister à une veillée d’armes.

Macron avait devant lui un désert politique, son boulevard.
Le choix du peuple était simple : Macron l’ultra libéral ou les populistes.

Le travail de sape commencé par ses aînés payait enfin, trois décennies que les fonctionnaires étaient décriés, que les syndicats
étaient vilipendés, le notre en particulier. Nous étions devenus aux yeux de tous une engeance stérile, des idéologues inutiles,
presque dangereux, faisant fi de la réalité économique,

Je me souviens bien de cette année là, avant le grand chaos.

Le mot syndicaliste était devenu, sinon une grossièreté, à tout le moins dérangeant, en plus d’être arriéré, autant dire un anach-
ronisme vivant.

Je me souviens bien de cette année là, c’est la dernière fois que l’on a partagé nos idées, qu’on les a confrontées, qu’on s’est tous
retrouvés pour un repas fraternel. C’est la dernière fois que nos anciens ont préparé notre repas. C’était cela le syndicalisme,
d’accord, pas d’accord, peu importait, on débattait, on s’engueulait parfois, mais on était libres.

Des 20 années qui ont suivi, je ne me souviens que de l’an I, celle du grand chaos, 2020. Nous avons tous été dispersés, balayés.

Depuis, la population a comme interlocuteurs les plate-formes miraculeuses ; il n’y a plus d’équité de traitement. Premier arrivé,
premier servi. Aux plus aguerris l’accomplissement des démarches, le plus grand nombre se débrouille. Tous les services sont
payants. Les retraités et étudiants, qui devaient déjà travailler il y a 20 ans pour vivre dignement, cumulent à présent plusieurs
emplois ; les chomeurs traficotent, survivent, les malades, selon leur niveau de vie, ont accès ou pas aux soins.

Je me souviens bien de cette année là, du froid du petit matin, des rires et accolades échangés, des débats, du repas. Puis nous
sommes tous repartis, une immense barre de nuages dans le ciel succédant au soleil de la journée, comme annonciatrice d’une
catastrophe imminente.

C’était avant, avant le grand chaos.

L’histoire montre deux choses  : en temps troublés, on a toujours le choix de faire autrement, mais souvent, la résignation,
comme une forme d’impuissance l’emporte. Et la deuxième, c’est que souvent l’histoire se répète. La société française connaît
une crise identitaire, économique, sociétale. Et comme l’a dit un camarade, elle se droitise.

Réveillons-nous, réveillez-vous !

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